Texte de Françoise Lonardoni, catalogue exposition 'Pour Suite'

Choses et états ne sont que des vues prises par notre esprit sur le devenir. Il n'y a pas de choses, il n'y a que des actions. Bergson- L'évolution créatrice, genèse idéale de la matière.

Le regard que porte Hélène Agniel sur le monde montre une aptitude particulière à se détacher du cadre restreint de l'intelligence utile. Dans son travail photographique, elle combine en permanence deux images du réel: l'image physique (objective, neutre) d'un sujet et son image 'psychique' (Merleau Ponty) : cette vision seconde, qui exige pour être perçue, que nous nous absentions de notre propre connaissance, de notre conscience même.
Dans ses débuts Hélène Agniel a utilisé la photographie en cadrages serrés pour dévoiler des objets banals : morceaux de sucre, éclat de verre, savon...la matière rapprochée, un éclairage savant créaient des images de pur silence; la fugacité de l'aperçu était soudain cristallisée et offerte à la contemplation, faisant sourdre le vertige ressenti devant les images prises au microscope.
Le champ des oeuvres s'est ensuite élargi à des vues extérieures : un amas de brique dessine des pyramides précolombiennes, un adhésif chiffonné prend vie...la rue, l'espace urbain entier sont devenus le territoire de ce 'regard psychique'.

Dans ses photographies, l'apparence matérielle de l'objet doit être conservée car elle est un facteur déterminant pour assurer la conduite perceptive qui intéresse l'artiste : le passage du réel à l'étrangeté qu'elle institue s'enracine dans la perte et la retrouvaille avec l'objet connu, il trouve sa justification dans ce mouvement même et s'affaiblirait dans une simple transfiguration.

D'autres procédés ont été expérimentés autour de cette problématique de la métamorphose. Ainsi des sucres en morceaux ont-ils servis de briques de construction pour obstruer un porche. Le résultat, plein de justesse plastique, rappelle avec légèreté quelques grandes questions de l'art des dernières décennies : minimalisme modulaire, sculpture et architecture, échelle, portée symbolique, profondeur métaphorique...
Le sucre, encore, a servi à Hélène Agniel dans une proposition spatiale : une coulée de matière blanche (du sucre liquéfié) a été répandue sur le sol de la galerie d'exposition.
Les propriétés insoupçonnées de cette matière offrent un résultat d'une grande richesse : la translucidité, le monochromatisme nuancé seulement par les épaisseurs du liquide, l'entêtement de cette vague à s'étaler, à épouser l'horizontale, à perdre toute forme personnelle évoquent les plus belles réalisations de l'Antiform.
Dans cette sculpture paysage, la métamorphose n'est plus seulement visuelle. Elle ose être allusive aussi, à peine décelable : les mouvements sont figés par l'inertie de la masse, l'état liquide n'est plus que traces dans l'assèchement.

Dans ces travaux les plus récents, Hélène Agniel met en place des procédures radicalement nouvelles : avant de photographier, elle prépare des scènes, toujours avec des objets sans grade, qui souvent présentent plusieurs registres visuels : une image photographique cohabite avec un miroir, une autre avec des morceaux de coton. Si la métamorphose est commandée, elle n'est certainement pas contrôlée jusque dans ses moindres effets. Car en dépit de cette évolution presque ontologique dans la méthode, Hélène Agniel parie toujours sur l'hypothèse de la réversibilité du réel.

Françoise Lonardoni

intervention intérieure

relevé photo-domestique numérique, 2007

Supervue 2009




Supervues 2009, trois jours d'expositions, conférences et rencontres

Participation grâce à la Galerie Lithos, Saint Restitut
11, 12 et 13 Décembre 2009